"Don't you know
They're talkin' about a revolution
It sounds like whisper..."
Peut être que la nôtre a commencé comme ça aussi: un murmure. Peut être que tout cela n'était qu'une symphonie,où des dizaines de milliers de violonistes ont joué leur Boléro, montant crescendo pour finir magistralement en feu et en sang sur les marches de la liberté, un soir de 14 janvier. Deux mois après,j'ai encore trop d'images dans la tête pour pouvoir tout distinguer, comme après une nuit d'ivresse où on se réveille la tête lourde et les idées éparpillées..
Je ne vais pas me lancer comme tant d'autres dans une énième analyse post-révolutionnaire. Je laisse ce soins aux spécialistes reconnus ou auto-proclamés comme il y en a maintenant des centaines sur facebook. Je n'ai même pas envie de faire ce genre de récit larmoyant qui se vend bien. Je préfère écrire pour graver mes propres souvenirs, mes propres émotions, ma révolution. La dernière fois que j'avais écrit sur ce blog je n'était pas encore libre de ma parole, ce temps là parait à la fois si loin et si proche! Jamais je n'aurais pensé que nous l'aurions fait, nous avions tout cet espoir fou en nous mais nous n'osions pas trop y croire, tant la chose était trop belle.
Tout me revient à l'esprit brusquement: il y eut d'abord un cri, une étincelle allumée qui embrasa ces bas-fonds tunisiens oubliés depuis si longtemps, trop longtemps à vrai dire. Les habitants de Sidi Bouzid recevait pour tout ambassadeur les BOP, armée de brutes féroces, à l'heure ou Borhène Bsayess paradait encore fièrement à la télé nationale. Le journaliste le plus maudit de Tunisie expérimentait la propagande en temps de crise,criant sur toutes les chaînes que tout vas bien alors que les émeutes atteignaient Kasserine et une partie de la côte. Au même moment les tunisiens découvraient avec effroi ces voleurs d'âmes invisibles: les snipers.Il y en avait sur tous les toits. " Khobz w ma, w Ben Ali la!" , des slogans contre les balles."Weld el âmel wel fallah, andhef mennek ya saffah!" la dignité contre les bombes lacrymo.
De l'autre côté, l'UGTT se découvre un fibre patriotique en passant l'hymne national au mégaphone pour mieux faire taire les vrai patriotes. Et tout s'accélère très vite, les morts se content par dizaines a Thala, à Kasserine, les snipers font des ravages encore à Douz, mais le peuple avance. Le peuple n'a plus peur. Et puis il y a cette scène d'anthologie, inimaginable il y a encore quelques semaines: des milliers de bras qui crient un "Dégage!" haut et fort devant le ministère de l'intérieur,prêt à prendre d'assaut cette sinistre Bastille aux allures soviétiques, temple de la bureaucratie dictatoriale, haut lieu de la torture en Tunisie. C'est la Révolution! L'après midi est terrible, les tigres noirs se réveillent soudain dans les artères de Tunis, le pays est au bord du chaos tout le monde n'en peut plus. Il y a sur Al Jazeera ce tunisien qui pleure pour son pays au bord de l'implosion, puis tout se mélange dans les dernières vapeurs de gaz qui sillonnent les rues, prêt à étouffer les derniers braves. Les ballent fusent encore. Et puis, enfin, la délivrance annoncée à la télé: Il est parti.
La nuit est tout aussi rude, les tunisiens doivent encore payer le prix de leur libertés! Ils découvrent avec terreur ces milices sans foi ni loi, derniers renégats du régime s'immisçant comme des ombres dans chaque ruelle pour y semer la mort à la tombée de la nuit, en même temps qu'ils se découvrent un incroyable esprit d'entre-aide. Alors que l'armée contre-attaque sur le terrain, les combats deviennent numériques: facebook transmets les numéros d'appels d'urgence, twitter relaie les positions des derniers snipers. "On a sauvé des vies." disait Heythem El Mekki. Tunisiens et tunisiennes se trouvent malgré eux à s'essayer à l'auto-gestion, plus d'état. Tans pis, on a un cœur gros comme ça! Les images se relaient à une vitesse incroyable. Abdennacer Laouini descend sur l'Avenue et cri sa joie au monde entier, dans le silence surnaturel d'une nuit de couvre feu, devant les marches du théâtre, sous la pâle lueur des réverbères. L'image est presque poétique. " Il est parti! Il est parti!" Des millions de tunisiens devant leurs petit écran voient là celui qui parle enfin pour eux, le premier à leur donner à tous la parole, une paroles qui vient des entrailles et qui explose après 23 ans de silence forcé.
Ce fut le temps des milices populaires de quartier qui veillaient toute la nuit pour assurer la sécurité de leur proches. Gourdin et matraques de fortune, au pied des fenêtres de ces demoiselles qui rougissaient en secret devant leurs nouveaux protecteurs. L'image-cliché parfaite. Ce fut le temps de la fleur au fusil, du bouquet sur le bout des canons. La population n'en pouvait plus de remercier ses sauveurs, des scènes de liesse partout. Rachid Ammar et ses soldats ont tenus tête au roi déchu et ont protéger leurs concitoyens. L'émotion était immense.Des larmes, des cris de joie, des chants, des rires, des pleurs..une révolution.
Je préfère garder cette image idyllique des ces instants si précieux. L'histoire se chargera de relayer les querelles ultérieurs de partis, la politique reprend toujours le dessus. Je préfère voire ces visages radieux de citoyens enfin libres, fiers et dignes. Eux qui ne savent pas encore qu'ils devront se mobiliser à nouveau et subir une nouvelle fois la brutalité policière à la Kasbah. Eux qui font la fête, eux qui accueillent leurs prisonniers partis depuis des années eux qui pleurent comme moi devant ces images de fraternisation avec les soldats. Avenue Habib Bourguiba, c'est un concert d'embrassades et d'étreintes. Bourgeois et sans-culottes, Tunisiens du sud et du nord, chômeurs et avocats, leur cœur battent tous à l'unisson. Pour une fois ils savent vraiment le sens des paroles de l'hymne qu'ils chantent. Pour une fois ils réalisent à quel point leur drapeau et rouge.
Mais l'essentiel est là, après en être resté absents si longtemps, ils écrivent a présent l'Histoire...