dimanche 20 juillet 2014

Elle




   La première fois que je la vis, j'étais seul au milieux de la foule. Prostré,brisé, terrassé. Elle s'approcha lentement pour poser sa main sur mon front, avec cette douceur toute maternelle dont seules les femmes sont capables.  Je ne vis pas ses yeux bleus qui brillaient plus que le soleil, je ne sentis pas son parfum frais comme la brume des bois, je n'entendis même pas son rire discret. Tout mon être s’élevait déjà à la vue de cette apparition merveilleuse. Et dans la blancheur de ses mains caressant mon visage, j'ai cru trouvé mille hivers où étendre enfin une douleur infinie. Un tourbillon de chevelure plus tard, elle était partie, comme une fée, on ne sait où. Depuis, on ne s'est jamais quittés.

   Elle vient souvent me voire au moment où je m'y attends le moins, comme par amusement. Avec le temps, nous sommes devenus amis, même si elle sait sûrement les sentiments que j'ai pour elle. Au début, la présence de cette femme m'intimidait, je n'avais pas l'habitude qu'une si belle créature m'accorde toute son attention. Moi, j'étais trop petit pour mes vêtements,trop petit pour mes sentiments, trop petit pour mes rêves. Elle, elle pouvait rendre le lâche courageux et faire pousser des ailes aux plus petites âmes peuplant cette terre. Très vite, je me suis trouvé épris de cette lointaine cousine des Danaïdes avec qui je me plaisais à remplir mon tonneau de pensées noires dans l'espoir de m'en débarrasser pour toujours. Ses goûts sont aussi forts que raffinés : Wagner donnait la réplique à Beethoven dans les soirées que nous passions seuls à contempler le ciel nocturne.C'est elle qui m'a fait découvrir la beauté du noir enveloppant le scintillement des étoiles. Ses discours enflammés, qu'elle accompagnait de gestes larges et vigoureux, racontaient la Grande Guerre ou l'Odyssée d'Ulysse. Très vite, je me suis épris de son charme, de sa voix, de la flamboyance de ses idées. Elle néantisait toute présence humaine aux alentours dès qu'elle s’asseyait près de moi, dépeuplant les lieux et allongeant les heures. Il y avait quelque chose de sadique qui n'était pas sans me plaire dans sa manière de faire, de parler, de penser. Au fil du temps, je me suis trouvé presque esclave de celle qui venait me réconforter quand j'en avais besoin, qui me chuchotait à l'oreille quand ceux autour de moi criait vainement, qui me prenait par la main quand je ne voulais plus me relever. Jour après jour, ses paroles qui, en apparence, visaient à me guérir, me changeait en fait de manière de plus en plus visible. Elle a appris à mon cœur à se contracter au lieu de saigner, à ne plus s'attendrir de pitié mais à se durcir pour survivre. Nous aimions haïr les gens que nous côtoyons, et cette douce haine glissait souvent vers une misanthropie qui nous coupait du monde en même temps qu'elle nous unissait plus fortement. Je l'aimais tellement...

   Les baisers du soir dans le silence d'une rue déserte succédaient aux étreintes torrides de la journée. Jamais je n'avais connu une telle fusion des corps... comme si elle prenait une part de mon âme à chaque morsure, comme si elle aspirait tout mon imaginaire à travers ses longs baisers qui me faisaient perdre la mémoire. Les choses se faisaient dans le silence mais nous prenions tout notre temps. Mes nuits devenaient plus longues et plus agitées, ses mains blanches griffant mon âme noire, transperçant toute barrière.Elle mordait tendrement pour marquer son territoire. Nous n'étions plus qu'un corps,nous donnant entièrement l'un à l'autre... avant que mon sang ne jaillisse brusquement pour aller couler dans ses entrailles dans un dernier soupir. Pourtant, sa peau restait toujours étonnement froide même au plus fort de nos ébats. Sa blancheur témoignait de ses ténébreux penchants pour une solitude aigrie. Ses veines palpitantes sous mes mains cartographiait cette porcelaine humaine que j'explorait mais où je me perdait toujours. Car bien que nous partagions une telle intimité, elle restait très mystérieuse. Je l’étreignait sans vraiment savoir ce qu'elle pensait de moi. Je la regardait souvent sans rien voir de clair au fond de ses yeux si ce n'est qu'un brouillard impénétrable. Puis ses étreintes devinrent de plus en plus suffocantes, ses caresses trop brûlantes. Ses baisers qui m'enivraient autrefois devinrent poison. Je voulais la quitter. Depuis, elle ne me quitte plus. Je la détestait tellement...

  Aujourd'hui elle vient me voir encore assez souvent. Lassé de me battre, je ne la repousse plus. Elle prend calmement un café avec moi ou m'accompagne lors de mes longues promenades solitaire. Elle se glisse encore quelques fois sous mes draps ou surgit de la foule pour n’emmener ailleurs avec son rire devenu aigu et strident. Le temps passant, les rides ont creusé son visage et sa peau s'est encore plus flétrie. Le blanc cristallin qui embaumait jadis ses mains s'est teinté de cette grisaille rappelant le marbre des tombes. Sa robe noire en haillons était le reflet de son âme diabolique : une forêt pleine de ténèbres et de grands arbres sombres. Longtemps j'ai cherché sous quelque cyprès les sentiers de roses promis, pour ne trouver que des bouquets de ronces et d'épines. Son image se miroite au fond des verres, se pixelise devant chacun de mes écrans. Elle danse dans les flammes du feu de la cheminée et nage au fond des mers. Elle me retrouve chaque fois que j'essaye de la quitter, elle sait que je ne peux pas la quitter. Ma nouvelle amie, la Haine. Gardienne des geôles où se perd l'esprit. Chimère rodant dans chaque travée de ma mémoire. Elle fait la pluie et la neige. Elle après la pluie me replonge dans mes tourments. Elle me consume à petit feu tout en me maintenant en vie. C'est elle, ma pire ennemie, qui m'aime et me déteste. Mais je n'ai qu'elle...

mardi 12 juin 2012

Muslim And I Know It.


                                  

    Les derniers évènements qui secouent la Tunisie auraient de quoi laisser dubitatif n'importe quel observateur extérieur qui n'est pas très au fait de la psychologie du tunisien moyen. Peut être un peu moins si l'on connait l'historique de l'affaire des caricatures danoises du prophète Mahomet... mais toujours est-il que l'ampleur qu'a pris l'affaire des vraies-fausses œuvres d'art du Palais El Abdellia nous pousse au questionnement surtout quand on voit l’escalade de violence qui s'en suit.


   Où se trouve donc la subtilité dans cette psychologie tunisienne qui rend possible des mouvements de foules comme on n'en voit que lors compétitions de football ? Il ne faut pas chercher bien loin pour savoir: le tunisien se définit avant tout comme musulman. Avant d'être tunisien, avant d'être arabe, avant d'être citoyen, avant d'être un homme ou une femme, c'est avant tout un croyant ou une croyante. L’existence ne précède plus l'essence et la vie toute entière des tunisiens se passe à calculer chaque fait et geste qui pourrait ne pas aller selon la volonté du Tout Puissant. Et même si le tunisien en question mène une vie de chien, il tient à la mener conformément aux préceptes de l'islam. Vous voulez lui voler les fruits de sa Révolution ? Nul problème, il s'en fout, ce n'est d’ailleurs pas lui qui est descendu pour dire dégage aux flics de Ben Ali. Vous voulez le prendre pour un idiot et ne pas tenir vos promesses de campagnes ? Il n'y a pas de mal à cela, du moment que votre parti se réclame de l'islam et que surtout, surtout, vous ne faites pas partie des cette vermine progressiste et orpheline de Bourguiba, ces déchets de la francophonie, cette racaille athée et communiste qui veut semer la zizanie. Faites le takbir et vendez des tickets  pour le paradis, tout ira bien pour vous! Là se trouve tout le malheur de notre société tunisienne "moderne": l'exaltation extrême des valeurs religieuses, vulgaire cache-sexe d'une dignité depuis longtemps perdue d'un peuple qui ne lit plus et n'écoute plus que le flot de haine et d’ignorance déversées à haut débit par des chaines satellitaires de plus en plus barbues et de plus en plus nombreuses. Interdisez-leur les manifestations, ils ne diront rien. Laissez la police politique, augmentez le salaires des députés, oubliez les blessé de notre Sainte Révolution, classez le dossiers des snipers, tournez le dos aux attentes des régions intérieures... ils ne diront toujours rien! En revanche, lancez une simple fausse rumeur sur facebook sur un tableau représentant le prophète et vous aurez toute une armée prête à vous suivre pour une nouvelles croisade contre les infidèles. Et comme le tableau en question n'existe pas, on va faire un petit montage en écrivant bien sûr qu'il faut le diffuser le plus largement possible. Le mensonge est haram ? Tant pis, c'est pour le jihad et la bonne cause. Le mouvement de foule fonctionne à merveille. Ils sont des milliers à propager une information qu'ils n'ont pas vérifiée. Ainsi est le musulman tunisien aujourd'hui, il suffit de lui agiter un chiffon rouge devant lui pour qu'il fonce dedans tête baissée, sans réfléchir ni aux conséquences, ni à qui a bien pu agiter ce chiffon rouge. La manipulation est facile, et les résultats potentiellement explosif. Alors que le pays connais de nombreux procès que le pouvoir militaire tente de censurer, le timing de la manœuvre tombe à point nommé et permet, entre autres, de faire oublier le scandale des fuites du bac, tout en laissant le chant libre au groupe parlementaire d'Ennahdha pour réclamer une nouvelle loi pour interdire toute "atteinte au sacré". Et qu'importe si des appels au meurtre sont désormais lancés contre des journalistes ou hommes politiques, notre ministre des affaires religieuses sera toujours là pour féliciter notre brave jeunesse de défendre comme il le faut sa religion, avec, tout comme dans l'affaire de la Mannouba, ce double langage mystique qui condamne le péché mais pas le pécheur, qui appelle à la réaction et au dialogue à la fois. Et pendant ce temps, on ne sait toujours pas si les barbes des jeunes qui ont brûlé les commissariats de police étaient vraies ou Made In China. 

  Hélas, l'instabilité étant inhérente à tous processus révolutionnaire, nous sommes en droit de nous demander à qui profite le crime ? Il serait futile de ne pas penser à l'ex-RCD ou encore à toute personne désirant étendre le pouvoir militaire ou policier en Tunisie. Toujours est-il que les dégâts sont là: avec un gouvernement incapable de satisfaire sa base conservatrice et attaquer le courant salafiste à la fois, avec une population qui n'a toujours pas pris la mesure du danger de l'extrémisme religieux puisqu'elle même le soutient à demi-mot, l'exposition artistique du Palais El Abdellia vient d'être annulée, ce qui constitue ou nouvelle victoire de l'obscurantisme au pays du jasmin. Les tunisiens, trop occupés qu'ils sont à défendre la seule chose qu'on ne peut leur prendre - c'est à dire leur foi - ne voient pas le danger venir et restent victimes d'une propagande orchestrée par plusieurs mains. " L'ennemi est devant vous et la mer est derrière vous " ..alors, où irez chers tunisiens ?

dimanche 11 septembre 2011

Le 11 / 09 / 2001

  





 On dit que chacun d'entre nous se rappelle où il était et ce qu'il faisait le 11 septembre 2001. On dit aussi que cette tragédie moderne aurait induit en chacun de nous un élan spontané d'affection pour le peuple américain, une compassion forte, un lien qui aurait fait battre nos cœurs au rythme du leur, prélude à une aventure où tous les peuples aurait suivi aveuglement l'Oncle Sam dans sa juste vengeance aux nom de la Justice et de la Liberté. L'axe du bien devant l'Histoire s'était vu confié sa nouvelle mission et le monde entier applaudissait aux nouveau son de bottes venant du far west..


  J'avais onze ans le mardi 11 septembre 2001, encore quelques dents de lait, mais déjà une grande curiosité pour ce que les grands appelaient "politique". Assis sur le carrelage de notre salon, après un énième épisode lénifiant (mais que regarder d'autre?) de l'inspecteur Derrick, je m'apprêtais à passer mon après midi dans l'ennui des derniers jours de vacances. Quand soudain je vis pour la première fois de ma vie le mot " flash" à la télé, et David Pujadas s'invita sur le petit écran. Je me suis étonné de le voir apparaître ainsi, à ce moment, moi qui avait plutôt habitude de le voir au " journal de 20 heures ", que venait-il faire en ce début d'après midi? Puis mon souvenir se fait plus vague: il y a cette vision des deux tours brûlés, je me lève et vais appeler ma mère dans la cuisine, puis je passe l'après midi à voir ces jumelles de fer et de béton s'affaisser l'une après l'autre. Je regarde sans dire un mot, conscient de la gravité de la chose mais incapable de dire pourquoi, j'évitais de réfléchir. Le soir, assis à l'arrière de l'auto, je voyais au travers de la vitre ces images de flammes et de fumées, de désespérés sautant dans le vide , minuscules marionnettes aux fils coupés se précipitant dans une interminable chute de quelques secondes. Qui était donc ce Oussama Ben Laden ? Étais-ce lui " le méchant "? Ce souvenir dans ma mémoire en précède d'autres comme " Bouddhas de Bamiyan "; "Terrorisme" ; " Afghanistan ".    Pourquoi ces barbus avaient-ils donc détruit de si beaux et anciens vestiges? Il fallait donc les contre-attaquer, on ne pouvait pas se laisser faire ainsi.

  Plus tard je compris que " les gentils " n'étaient pas forcément si gentils, que les choses sont plus compliquées, que la télé ne dit pas toujours la vérité, que même parfois les gentils ne l'étaient plus du tout. Que reste-t-il du 11 septembre et de la théorie du choc des civilisations? Quelles leçons avons nous retenus de cette immense fuite en avant sur les sentiers de la violence que l'on disait combattre ? Quid des idéaux que l'on disait défendre? Peu de chose il me semble.. Dix ans après, on se borne à commémorer encore une fois les victimes du camps du plus fort, alors que cette guerre a fait plus de victimes et de dégâts chez les vrai faux méchants, l'histoire est toujours écrite par les plus fort. Pourquoi pleurer les 10.000 victimes civiles afghanes? Après tout, ce ne sont que des "victimes collatérales" de cette lutte pour la démocratie, même si cette dernière tarde à arriver... Qui va pleurer pour l'Irak et pour les irakiens? Les chaînes de télévisions iront-elles voir les centaines de milliers de réfugiés qui ont quitté un pays à feu et à sang? Les chefs d'états auront-ils le courage de parler des dizaines de milliers de civils irakiens morts au nom de la démocratie? Les manuels scolaires retiendront-ils toutes les dates? Non, ils n'auront que leurs yeux pour pleurer, le monde est ainsi fait qu'un pays jeune d'à peine plus de deux siècles drapée dans sa vertu s'en va donner des leçons à des civilisations plus que millénaires. Go! Go! Go! L'oncle Sam, cet ami qui vous veut du bien, mais business is business. A moins que...

 A l'heure du printemps arabe, que les médias se sont empressé de médiatiser après avoir royalement ignoré les problèmes de ces pays, il semblerait que le vent commence à tourner, que les cartes se redistribuent, et que de nouveaux acteurs entrent dans la danse. Les révoltes en Tunisie et en Égypte on définitivement montré que le citoyen arabe voulait plus que jamais entrer enfin dans le XXI ème siècle et écrire lui même son histoire, que la démocratie ne pouvait sortir de la bouche des canons et des missiles de F-16. Les thèses culturalistes suggérant - à demi-mot - l'immaturité des ces peuples à se diriger eux même étaient balayées d'un coup. Oncle Sam s'enlisait éternellement dans son bourbier et, pire encore, voyait ses économies menacées de disparaitre. La Chine faisait maintenant partie de la cour des grands et compte bien réclamer sa part du gâteau, suivie de très près par le mastodonte démographique indien, la Russie à la fierté retrouvée, et le Brésil bien décider à participer à cette samba des puissants, le monde devient multipolaire. Qu'est-ce que le onze septembre? C'est aussi la date où Oncle Sam assassina Salvadore Allende par le biais d'un dictateur sanguinaire, but who cares? Qu'est-ce que le onze septembre? C'est l'anniversaire d'un autre dictateur, Bachar Al-Assad, digne héritier de la barbarie de son père au nom d'une idéologie qu'ils furent les premiers à trahir, but who cares? Mais la mémoire collective, sans cesse refaçonnée par les médias, ne retiendra probablement que le premier onze septembre, le plus juste et le plus noble. Les victimes collatérales elles, qu'elles soient chilienne,syriennes, ou irakiennes, attendront encore...





"Kill me!"
Little syrian girl
                                  

                      

mardi 15 mars 2011

Talking about a revolution...




"Don't you know
They're talkin' about a revolution
It sounds like whisper..."







Peut être que la nôtre a commencé comme ça aussi: un murmure. Peut être que tout cela n'était qu'une symphonie,où des dizaines de milliers de violonistes ont joué leur Boléro, montant crescendo pour finir magistralement en feu et en sang sur les marches de la liberté, un soir de 14 janvier. Deux mois après,j'ai encore trop d'images dans la tête pour pouvoir tout distinguer, comme après une nuit d'ivresse où on se réveille la tête lourde et les idées éparpillées..


  Je ne vais pas me lancer comme tant d'autres dans une énième analyse post-révolutionnaire. Je laisse ce soins aux spécialistes reconnus ou auto-proclamés comme il y en a maintenant des centaines sur facebook. Je n'ai même pas envie de faire ce genre de récit larmoyant qui se vend bien. Je préfère écrire pour graver mes propres souvenirs, mes propres émotions, ma révolution. La dernière fois que j'avais écrit sur ce blog je n'était pas encore libre de ma parole, ce temps là parait à la fois si loin et si proche! Jamais je n'aurais pensé que nous l'aurions fait, nous avions tout cet espoir fou en nous mais nous n'osions pas trop y croire, tant la chose était trop belle.

 Tout me revient à l'esprit brusquement: il y eut d'abord un cri, une étincelle allumée qui embrasa ces bas-fonds tunisiens oubliés depuis si longtemps, trop longtemps à vrai dire. Les habitants de Sidi Bouzid recevait pour tout ambassadeur les BOP, armée de brutes féroces, à l'heure ou Borhène Bsayess paradait encore fièrement à la télé nationale. Le journaliste le plus maudit de Tunisie expérimentait la propagande en temps de crise,criant sur toutes les chaînes que tout vas bien alors que les émeutes atteignaient Kasserine et une partie de la côte. Au même moment les tunisiens découvraient avec effroi ces voleurs d'âmes invisibles: les snipers.Il y en avait sur tous les toits. " Khobz w ma, w Ben Ali la!" , des slogans contre les balles."Weld el âmel wel fallah, andhef mennek ya saffah!" la dignité contre les bombes lacrymo.


De l'autre côté, l'UGTT se découvre un fibre patriotique en passant l'hymne national au mégaphone pour mieux faire taire les vrai patriotes. Et tout s'accélère très vite, les morts se content par dizaines a Thala, à Kasserine, les snipers font des ravages encore à  Douz, mais le peuple avance. Le peuple n'a plus peur. Et puis il y a cette scène d'anthologie, inimaginable il y a encore quelques semaines: des milliers de bras qui crient un "Dégage!" haut et fort devant le ministère de l'intérieur,prêt à prendre d'assaut cette sinistre Bastille aux allures soviétiques, temple de la bureaucratie dictatoriale, haut lieu de la torture en Tunisie. C'est la Révolution! L'après midi est terrible, les tigres noirs se réveillent soudain dans les artères de Tunis, le pays est au bord du chaos tout le monde n'en peut plus. Il y a sur Al Jazeera ce tunisien qui pleure pour son pays au bord de l'implosion, puis tout se mélange dans les dernières vapeurs de gaz qui sillonnent les rues, prêt à étouffer les derniers braves. Les ballent fusent encore. Et puis, enfin, la délivrance annoncée à la télé: Il est parti.


 La nuit est tout aussi rude, les tunisiens doivent encore payer le prix de leur libertés! Ils découvrent avec terreur ces milices sans foi ni loi, derniers renégats du régime s'immisçant comme des ombres dans chaque ruelle pour y semer la mort à la tombée de la nuit, en même temps qu'ils se découvrent un incroyable esprit d'entre-aide. Alors que l'armée contre-attaque sur le terrain, les combats deviennent numériques: facebook transmets les numéros d'appels d'urgence, twitter relaie les positions des derniers snipers. "On a sauvé des vies." disait Heythem El Mekki. Tunisiens et tunisiennes se trouvent malgré eux à s'essayer à l'auto-gestion, plus d'état. Tans pis, on a un cœur gros comme ça! Les images se relaient à une vitesse incroyable. Abdennacer Laouini  descend sur l'Avenue et cri sa joie au monde entier, dans le silence surnaturel d'une nuit de couvre feu, devant les marches du théâtre, sous la pâle lueur des réverbères. L'image est presque poétique. " Il est parti! Il est parti!" Des millions de tunisiens devant leurs petit écran voient là celui qui parle enfin pour eux, le premier à leur donner à tous la parole, une paroles qui vient des entrailles et qui explose après 23 ans de silence forcé.



 Ce fut le temps des milices populaires de quartier qui veillaient toute la nuit pour assurer la sécurité de leur proches. Gourdin et matraques de fortune, au pied des fenêtres de ces demoiselles qui rougissaient en secret devant leurs nouveaux protecteurs. L'image-cliché parfaite. Ce fut le temps de la fleur au fusil, du bouquet sur le bout des canons. La population n'en pouvait plus de remercier ses sauveurs, des scènes de liesse partout. Rachid Ammar et ses soldats ont tenus tête au roi déchu et ont protéger leurs concitoyens. L'émotion était immense.Des larmes, des cris de joie, des chants, des rires, des pleurs..une révolution.


 Je préfère garder cette image idyllique des ces instants si précieux. L'histoire se chargera de relayer les querelles ultérieurs de partis, la politique reprend toujours le dessus. Je préfère voire ces visages radieux de citoyens enfin libres, fiers et dignes. Eux qui ne savent pas encore qu'ils devront se mobiliser à nouveau et subir une nouvelle fois la brutalité policière à la Kasbah. Eux qui font la fête, eux qui accueillent leurs prisonniers partis depuis des années eux qui pleurent comme moi devant ces images de fraternisation avec les soldats. Avenue Habib Bourguiba, c'est un concert d'embrassades et d'étreintes. Bourgeois et sans-culottes, Tunisiens du sud et du nord, chômeurs et avocats, leur cœur battent tous à l'unisson. Pour une fois ils savent vraiment le sens des paroles de l'hymne qu'ils chantent. Pour une fois ils réalisent à quel point leur drapeau et rouge.






  Mais l'essentiel est là, après en être resté absents si longtemps, ils écrivent a présent l'Histoire...

mercredi 22 décembre 2010

Sidi Bouzid: Le rouge et les noirs.


               

  Le temps s'est figé, brusquement. Il a fallu que tu craques cette allumette pour commencer à sentir le poids de ton existence peser un peu moins sur tes épaules. Bientôt, tes souffrances s'en iront pour de bon. Quand la flamme qui danse dangereusement devant ton corps ruisselant de toluène l'aura rejoint, ta peine te quittera. Ton cœur bat à tout allure, comme lors d'une première rencontre, mais la femme en question te seras fatale. Plus que quelques secondes... Et peu importe les hurlements près de toi que tu n'arrives déjà plus à distinguer. Après avoir psalmodié quelques mots, tu penses à dieu, à ta mère,seule, et à tes huit frères et sœurs. Et puis tu fermes les yeux...

   Nul n'aurait imaginé à quel point ton corps incandescent aurait réveillé les milliers de miséreux autour de toi, tapis dans la pénombre de leur peur depuis des années, tu sembles les guider vers le chemin qu'il avait tant peur de prendre. Toi, Mohamed Bouazizi, torche humaine illuminant les ténèbres de nos petites existences, réveillant la colère qui sommeillait au fond cette Tunisie délaissée, ralliant à ta bannière les hordes de chômeurs sans espoir, les légions de déshérités mis à l'écart, toute la population de seconde classe qui s'est réchauffé le cœur à la chaleur de ton corps se consumant, qui s'est retrouvée du courage dans ton acte de bravoure ultime. Tel un phare,tu les guides partout là où ils pourront enfin exprimer leur colère si longtemps refoulée. Alors marche fièrement! Que ta peau se disloquant nourrisse cette terre qui accouchera d'autres héros! Que les cris strident de ta voix parviennent jusqu'à la puissante Carthage et en fassent trembler le Palais! Que tes hurlements de douleur déchirent le cœur du gros roi indigne!

   Roi indigne, roi peureux. Lui qui ne sait que t'envoyer ses cafards. Cafards ils sont, cafards ils resteront. Cette armée de taches noires à la démarche lourde et au regard menaçant. Eux qui n'attaquent qu'en surnombre, eux qui n'attaquent que derrière leurs armures. Ils t'entourent et essaient d'étouffer ton cri, la peur les empresse de tuer cet embryon de révolte qui leur fait froid dans le dos. Ils frappent, raflent et torturent à tour de bras, eux qui pourtant n'étaient que des citoyens misérables tout comme toi, avant de passer du côté obscure de la force, celui qui faire taire le chant des oiseau et met en cage la Liberté. Celui qui fait régner les Ténèbres et chante le Mal partout où il va.


 Courage Mohamed! Le feu de ta colère aura bientôt consumé leurs carapaces d'insectes noircies. Tes derniers cris feront du timide un valeureux et transporteront les foules jadis endormies. Ton sacrifice illumine déjà le ciel! Nous avons espoir en un avenir meilleur. Alors brûle, et brûle encore! Illumine notre chemin de ton courage. En attendant les nôtres, tes vœux seront peut être exaucés et tu ne sentiras plus aucune souffrance. Tu iras sûrement  revivre plus haut, dans un endroit plus accueillant, un paradis comme tu n'en as vu que dans tes rêves. Comme un phénix qui renait de ses cendres...