mercredi 22 décembre 2010

Sidi Bouzid: Le rouge et les noirs.


               

  Le temps s'est figé, brusquement. Il a fallu que tu craques cette allumette pour commencer à sentir le poids de ton existence peser un peu moins sur tes épaules. Bientôt, tes souffrances s'en iront pour de bon. Quand la flamme qui danse dangereusement devant ton corps ruisselant de toluène l'aura rejoint, ta peine te quittera. Ton cœur bat à tout allure, comme lors d'une première rencontre, mais la femme en question te seras fatale. Plus que quelques secondes... Et peu importe les hurlements près de toi que tu n'arrives déjà plus à distinguer. Après avoir psalmodié quelques mots, tu penses à dieu, à ta mère,seule, et à tes huit frères et sœurs. Et puis tu fermes les yeux...

   Nul n'aurait imaginé à quel point ton corps incandescent aurait réveillé les milliers de miséreux autour de toi, tapis dans la pénombre de leur peur depuis des années, tu sembles les guider vers le chemin qu'il avait tant peur de prendre. Toi, Mohamed Bouazizi, torche humaine illuminant les ténèbres de nos petites existences, réveillant la colère qui sommeillait au fond cette Tunisie délaissée, ralliant à ta bannière les hordes de chômeurs sans espoir, les légions de déshérités mis à l'écart, toute la population de seconde classe qui s'est réchauffé le cœur à la chaleur de ton corps se consumant, qui s'est retrouvée du courage dans ton acte de bravoure ultime. Tel un phare,tu les guides partout là où ils pourront enfin exprimer leur colère si longtemps refoulée. Alors marche fièrement! Que ta peau se disloquant nourrisse cette terre qui accouchera d'autres héros! Que les cris strident de ta voix parviennent jusqu'à la puissante Carthage et en fassent trembler le Palais! Que tes hurlements de douleur déchirent le cœur du gros roi indigne!

   Roi indigne, roi peureux. Lui qui ne sait que t'envoyer ses cafards. Cafards ils sont, cafards ils resteront. Cette armée de taches noires à la démarche lourde et au regard menaçant. Eux qui n'attaquent qu'en surnombre, eux qui n'attaquent que derrière leurs armures. Ils t'entourent et essaient d'étouffer ton cri, la peur les empresse de tuer cet embryon de révolte qui leur fait froid dans le dos. Ils frappent, raflent et torturent à tour de bras, eux qui pourtant n'étaient que des citoyens misérables tout comme toi, avant de passer du côté obscure de la force, celui qui faire taire le chant des oiseau et met en cage la Liberté. Celui qui fait régner les Ténèbres et chante le Mal partout où il va.


 Courage Mohamed! Le feu de ta colère aura bientôt consumé leurs carapaces d'insectes noircies. Tes derniers cris feront du timide un valeureux et transporteront les foules jadis endormies. Ton sacrifice illumine déjà le ciel! Nous avons espoir en un avenir meilleur. Alors brûle, et brûle encore! Illumine notre chemin de ton courage. En attendant les nôtres, tes vœux seront peut être exaucés et tu ne sentiras plus aucune souffrance. Tu iras sûrement  revivre plus haut, dans un endroit plus accueillant, un paradis comme tu n'en as vu que dans tes rêves. Comme un phénix qui renait de ses cendres...